Dix ans après les attentats du 13 novembre 2015 et au lendemain de la libération de l’écrivain franco-algérien Boualem SANSAL, l’édition 2025 des Entretiens d’Auxerre s’ouvre dans une charge émotionnelle rare. Dédié à l’auteur emprisonné en Algérie, le rendez-vous explore cette année le rôle de l’art sous toutes ses formes, entre puissance de résistance, nécessité démocratique et moteur intime de reconstruction.
AUXERRE: Il y a des dates qui marquent les époques et donnent un relief particulier aux événements. À Auxerre, le 13 novembre 2025 résonne immanquablement avec celui de 2015. Dix ans plus tôt, alors que les Entretiens débutaient, la France s’effondrait sous le choc des attaques du Bataclan et des terrasses de café. Les organisateurs avaient maintenu le rendez-vous, transformant la scène du théâtre en un lieu de sidération collective et de premières analyses à chaud. Cette année, la coïncidence est tout aussi saisissante : l’édition débute au lendemain de la libération de Boualem SANSAL, à qui les Entretiens 2025 étaient consacrés. L’écrivain, détenu en Algérie depuis un an et condamné à cinq ans de prison, a enfin retrouvé la liberté. Une victoire dont plusieurs intervenants ont rappelé combien la mobilisation artistique avait contribué à cet heureux dénouement.
« C'est son art de l'écriture qui a soulevé des montagnes pour activer des réseaux et divers canaux afin d'aboutir à sa libération. Cela démontre toute la puissance de l'art. L'art, source d'expression par excellence peut faire peur… » témoigne la conseillère départementale Isabelle JOAQUINA. Avant de rappeler la longue histoire artistique du territoire, entamée il y a 28 000 ans avec les peintures pariétales des grottes d’Arcy ou la collection inestimable laissée par le couple ZERVOS à Vézelay, autour de Picasso, Miro ou Kandinsky.

L’art qui ne sert à rien et à tout à la fois !
Pour cette 24ème édition, le Conseil scientifique présidé par Valentine ZUBER a choisi un thème inattendu pour ces rencontres, davantage habituées aux sciences humaines et sociales, avec une question simple, presque scolaire : « À quoi sert l’art ? ». Cette interrogation trouve un écho particulier dans le témoignage d’Aristide BARRAUD, jeune rugbyman rescapé du « Petit Cambodge ». Sauvagement blessé en tentant de protéger sa sœur, il ne reviendra jamais sur le terrain. Après des mois de convalescence et de vide, il se réinvente : écrivain, photographe, cinéaste, artiste de street art.
« L’art lui a servi à survivre et à vivre », résume Jean-Vincent HOLEINDRE, président des Entretiens, avant de conclure son propos par ces mots : « vive la culture, vive la vie et vive l’art qui ne sert à rien et à tout, à la fois ! ».
Les différentes tables rondes qui se tiendront vendredi et samedi au théâtre auxerrois ne manqueront pas de plancher sur ce qui peut apparaître comme un oxymore, mais, rappelle Valentine ZUBER : « on va essayer de comprendre ce tout, de comprendre ce rien et pourquoi c'est indispensable à notre vie, à notre vie ensemble… ».

Une nécessité politique et démocratique
Dans une France où les budgets culturels s’amenuisent, l’utilité de l’art devient un enjeu très concret. Les représentantes des différentes collectivités, ville, département et région ont souligné à tour de rôle combien la culture devenait trop souvent « variable d’ajustement ». Adjointe à la culture à Auxerre, Céline BAHR se souvient : « Je suis devenue élue en plein confinement, quand l’art était jugé non essentiel. Pourtant, jamais nous n’en avons eu autant besoin ».
Pour la conseillère régionale Isabelle POIFOL-FERREIRA, l’art est une force de cohésion autant qu’un secteur économique majeur. « Il y a plus d’emplois dans la culture que dans l’industrie automobile. Qui songerait à supprimer cette dernière ? ».

Derrière la formule, une conviction : soutenir la création, c’est soutenir la démocratie. Les crises, les attentats et les replis identitaires réhabilitent brutalement cette évidence : « notre devoir à nous, les politiques, mais à vous aussi, les citoyens, c'est de faire en sorte que l'art reste vivant, qu'il soit accessible à tous, qu'il continue à questionner, à déranger, à inspirer, à émouvoir. Car l'art n'est pas un luxe, pour des temps prospères, il est aussi une force de résistance dans les temps difficiles… ».
Parce qu’il rassemble, répare, interroge, l’art demeure un contre-pouvoir : « Quand un dessinateur est empêché de travailler quelque part dans le monde, c’est le journaliste qui est menacé le lendemain, et le citoyen le surlendemain », avertit Céline BAHR.
« L’art sert à nous rendre plus humain »
Face aux drames passés et aux incertitudes présentes, l’édition 2025 réaffirme que l’art dépasse la question utilitaire. Source d’émotions, moteur cognitif, pont social, outil politique, il est tout cela à la fois. Mais surtout, comme le résume l’élue régionale : « L’art sert juste à nous rendre plus humains... ». Comme l’affirmait Valentine ZUBER dans son propos introductif, « l’objectif de ces trois journées est clair : non seulement réfléchir à l’art, mais aussi le vivre, au fil de performances, d’expositions, de danse ou de cinéma. Une manière d’éprouver physiquement l’idée que l’art « va dans tous les sens », qu’il est à la fois inutile et indispensable… ».
Nul doute que dix ans jour pour jour après l’une des nuits les plus sombres de notre histoire contemporaine, l’art renoue à l’issue de ces Entretiens avec sa fonction première : nous tenir debout, ensemble !
Dominique BERNERD
On le savait déjà : l’AJA est un bien commun. Populaire bien au-delà de son territoire de prédilection, possédant des aficionados loin de nos frontières, le club de football nord-bourguignon, évoluant parmi l’élite hexagonale, commémore cette saison son cent-vingtième anniversaire. Un prétexte légitime à une longue célébration culturelle s’écoulant sur plusieurs mois qui se décline aussi au théâtre d’Auxerre, jusqu’au 17 décembre, avec l’installation d’une exposition collective, proposée par les élèves de l’école des Beaux-Arts. Nom de code : « Constellations » ! Une manière de faire briller les yeux de poussières d’étoiles artistiques !
AUXERRE : Des ballons aux multiples formes et couleurs. Des trophées, aussi. Ils s’ajoutent aux dessins représentants des sportifs en pleine action. Tiens, tiens, ne serait-ce pas des footballeurs par hasard ?! C’est un véritable patchwork artistique qui s’étale sur les murs et les cimaises du grand hall du théâtre auxerrois, où entre deux représentations scéniques et avant l’ouverture des « Entretiens d’Auxerre » consacrés une fois n’est pas coutume au devenir de l’art, les spectateurs et autres fidèles de cet antre de la culture et de l’intellectualisme icaunais auront tout le loisir de jeter un œil, voire les deux, sur les œuvres peintes qui s’affichent sur les surfaces murales.
Une découverte qui mérite de prendre son temps. Il n’est pas commun de célébrer le cent-vingtième anniversaire d’un club de football – oui, oui, c’est bien de l’AJ Auxerre dont on parle ! – ici même, par le biais d’une exposition de belle facture, que l’on doit à la sagacité et au travail méticuleux des élèves de l’école des Beaux-Arts locale.
Directeur de la communication du club sportif, Thierry HUBAC est on ne peut plus admiratif devant les réalisations qui se contemplent sans modération : « du plus petit au plus grand, tout le monde à sa manière a pu écrire une petite ligne de l’histoire de l’AJA, avec cette approche artistique… ».
Ce n’est d’ailleurs par la première fois que ces deux mondes que l’on dit parfois opposé, celui du sport et de l’art, se rapproche en étroite osmose. Un artiste anglo-américain a réalisé une affiche vintage très réussie à l’occasion de ces commémorations appréciées des Auxerrois. Une collaboration avec la structure associative « Lézard des Arts » a été également tentée avec succès quant au rendu des œuvres réalisées. Il y a eu des compositions florales posées çà et là dans Auxerre. Tout cela à titre d’exemples concrets.
« On a essayé de partager ce bien commun qu’est le club de football en rassemblant la population autour d’un concept qui crée de l’émotion et du plaisir… ».

La piste aux étoiles, entre art et football
Un concept, cette méga exposition baptisée « Constellations » qui devrait trouver après coup une seconde vie, sans doute dans l’enceinte de l’Abbé Deschamps, selon Thierry HUBAC. Mais, pour l’heure, le public auxerrois aura tout le loisir de pouvoir l’admirer jusqu’au 17 décembre inclus, et ce de manière gratuite. Y compris de nombreux enfants. Ceux qui ont réalisé ces dessins et ces esquisses où l’imaginaire a repris tous ses droits.
« Constellations, c’est bien plus qu’une exposition, ajoute Pierre KECHKEGUIAN, directeur du théâtre auxerrois, c’est un projet qui reflète un engagement commun, avec des élèves qui ont été guidés par leurs enseignants. Qu’ils en soient remerciés ! ».
Un travail artistique qui invite le public (et les amateurs du ballon rond) à voir le monde différemment. Directeur de l’école des Beaux-Arts d’Auxerre, Aurélien DOMERGUE prit ensuite la parole lors de cette séquence inaugurale, devant un parterre d’élus et de personnalités. « Je suis impressionné, lâcha le responsable des Beaux-Arts, ce projet a été un vrai challenge pour l’école. C’est un travail de six semaines consécutives, ce qui est très court pour réaliser un tel travail. Certains élèves n’avaient jamais fait de sérigraphie. Ou de monotypes, des tirages de gravure uniques… ».

Revenant sur le thème de l’exposition, Aurélien DOMERGUE parla alors des étoiles. Ces stars du ballon rond, mais aussi ces artistes en herbe qui le deviendront peut-être un jour, formant à leur ces « Constellations ». Deux univers, fédérant celui du football et des Beaux-Arts.
Puis, ce fut le tour de Baptiste MALHERBE de s’exprimer : « c’est une célébration de tout le territoire, l’AJA est un emblème pour l’Yonne et on a voulu que toute la population soit impliquée. Le sport est une sorte d’art avec cette intelligence collective, source d’inspiration… ».
Une exposition à déguster jusqu’à la mi-décembre…
Thierry BRET

Les voyages forment la jeunesse, précise l’adage ! Ils offrent également l’opportunité de découvrir d’autres civilisations et de pouvoir échanger sur les grands sujets de société que sont l’environnement, l’économie, la fraternité entre les peuples ou encore la paix. C’est un peu de tout ça qui aura servi de trame intellectuelle lors du Congrès mondial de la Jeune Chambre Economique (JCI) il y a peu en Tunisie où une délégation du club auxerrois a pris part à la fête avec ses onze représentants…
AUXERRE : A l’applaudimètre des délégations les plus représentées lors de ce séjour dans le Maghreb oriental, on notera la domination des Japonais qui devaient devancer les locaux de l’étape, les Tunisiens, et les Français, avec plus de 150 personnes, en provenance des quatre coins de l’Hexagone. Evènement reconduit chaque année, le Congrès international de la Jeune Chambre Economique attire toujours autant de représentants d’une saison à l’autre et quel que soit le continent d’accueil. Cette année, c’est la « petite perle du Maghreb » comme on aime la surnommer, Tunis, qui eut les honneurs de recevoir des délégations en provenance d’une centaine de pays. Dont la France, terroir de ce mouvement d’incubateurs citoyens se préparant à vivre de belles aventures entrepreneuriales et associatives. Une Tunisie faite de charmes exotiques tant dans les particularités touristiques à découvrir qu’au fond de l’assiette à déguster !
Près de trois mille jeunes gens, âgés de 18 à 40 ans, et tous inféodés à cet esprit entreprenant qui sied si bien aux représentants de ce mouvement vont vivre des instants intenses, composés de réunions de travail mais aussi festifs, sans omettre le fameux tournoi de football, une variante très personnelle de la Coupe du monde en mode JCE où l’équipe de France terminera son parcours sur la troisième marche du podium, ayant battu les Turcs mais éliminée par la vaillante Suisse. D’ailleurs, ce sont avec ces mêmes Helvètes que les liens se sont affirmés. La JCE Auxerre aura tissé des liens presque indélébiles, s’accordant sur le montage d’un partenariat durable entre la capitale de l’Yonne et la ville de Sion, dans le Valais. Echanges de réciprocité en vue entre les deux villes.

Côté thème de réflexion, les adhérents de la JCI (Jeune Chambre Internationale) auront planché sur l’idée suivante, « Innover pour diriger ». Il y sera également question de paix et d’amitié, le ciment de cette structure associative peu ordinaire. Une entité qui prépare les plus jeunes aux responsabilités politiques, entrepreneuriales et associatives.
Thierry BRET

Rapporteur général du Haut-Commissariat au Plan et proche d’Edouard PHILIPPE, Clément TONON était l’invité des premières « Conversations de l’Abbaye » de la saison. Il y a présenté son essai, « Gouverner l’avenir », plaidoyer pour une politique libérée de la « dictature de l’instant » et réconciliée avec le temps long. Plaidant, face à des institutions déréglées et une action publique happée par l’urgence, pour une refondation du rapport au temps dans nos institutions, une écologie de la puissance et une éthique de la vérité…
AUXERRE : Comment gouverner une nation si la politique ne sait plus penser au-delà de l’horizon immédiat ? C’est devant un public venu une nouvelle fois en nombre à Saint-Germain, que Clément TONON a livré quelques éléments de réponse à partir de son ouvrage paru en mars dernier, « Gouverner l’avenir, retrouver le sens du temps long en politique ». Loin d’être un théoricien hors sol, cet ancien conseiller de Christophe BÉCHU au ministère de la Transition écologique, connaît de l’intérieur la mécanique étatique et ses limites. Il a témoigné une heure durant, de l’impétueuse nécessité à redonner à la politique une profondeur de champ, à l’heure où l’urgence, la communication et la fragmentation des débats ont fait perdre à la République son souffle stratégique. Un discours lucide et sans ambages : « Nous avons déréglé notre horloge démocratique ».
Repenser le cadre démocratique
Pour celui qui se réclame de la tradition gaulliste, la dissolution de 2024 aura été un véritable électrochoc. « La Ve République, conçue comme le régime du temps long, de la stabilité et de la puissance publique, s’est transformée en régime du court terme et de l’impuissance, c’est ce que l’on constate tous les jours à l’Assemblée nationale... ». Voyant dans la coïncidence du quinquennat présidentiel et législatif la cause première de cette dérive : « Le président est devenu un super Premier ministre. La symphonie des temporalités institutionnelles s’est brisée ». Sa première proposition est radicale : rétablir un mandat unique de sept ans pour rendre au chef de l’État une vision au-dessus des partis, détachée du cycle électoral : « En l’empêchant de se représenter, on le libère des contingences partisanes et on rend au politique le goût du temps long ». Avec à la clé assure-t-il, un rééquilibrage du pouvoir exécutif autour du Premier ministre, responsable de la conduite quotidienne du gouvernement, tandis que le président retrouverait sa fonction d’arbitre et de stratège.
Clément TONON s’attaque également à la mécanique budgétaire, qu’il juge trop rythmée par le court terme, proposant la création d’un budget de législature, voté pour cinq ans, fixant des priorités claires : éducation, transition écologique, défense, encadré par une règle d’or constitutionnelle : « Il faut sortir du psychodrame budgétaire annuel pour redonner de la visibilité à l’action publique… ». S’inquiétant dans le même temps, d’une démocratie qui selon lui, a perdu ses lieux d’apprentissage et de débat : « les partis politiques se sont dévitalisés, ils ne forment plus, ne structurent plus. En France, on a perdu deux millions de militants depuis les années 1970… ». S’inspirant du modèle allemand, il plaide pour une revalorisation et un financement accru des partis démocratiques, capables de produire des idées, des programmes, tout en recréant des espaces de discussion entre citoyens.

Une écologie puissante et protectrice
Pour l’invité du jour, pas d’opposition entre écologie et croissance : « C’est une erreur profonde d’avoir présenté l’écologie comme une contrainte ou une punition… ». Préférant l’envisager à la fois comme angle de la protection des paysages, des emplois, des identités territoriales, mais aussi de la puissance : « La Chine, les États-Unis, la Russie ont compris que la décarbonation était un instrument de puissance. L’Europe doit faire de même… ». Reprenant des éléments de son essai, il propose de fusionner économie et climat dans un même ministère, afin d’arrimer la transition écologique au cœur du développement industriel : « Il faut cesser d’opposer Bercy et l’écologie, la décarbonation est aussi une politique industrielle… ». Tout en appelant à défendre une « écologie de souveraineté », capable de rallier toutes les sensibilités politiques, comme l’avait fait la loi contre la fast fashion, adoptée à l’unanimité en 2024 : « Cette loi protégeait à la fois nos emplois et la planète. C’est cet équilibre entre souveraineté et écologie qui peut recréer une majorité de projet dans le pays ».
Dire la vérité pour gouverner l’avenir
En guise de conclusion, Clément TONON est revenu sur ce qu’il qualifie dans son livre de « grand « déboussolement » », sentiment diffus de perte de repères face à la remise en cause simultanée des trois piliers du modèle français. Que ce soit le modèle social, miné par le déclin démographique, le modèle de sécurité, ébranlé par le désengagement américain et la nécessité de repenser notre défense et enfin, le modèle économique, fondé depuis quarante ans sur la consommation et la délocalisation : « Tous ces piliers sont remis en cause en même temps. Et nos boussoles idéologiques ont disparu... ». La fin des grands récits, que ce soit sous la bannière du socialisme, du gaullisme ou du libéralisme, laisse les responsables politiques sans cadre de référence, d’où la nécessité, selon lui, de reconstruire une éthique politique fondée sur la vertu et la vérité. Rappelant à cet égard, que depuis Aristote, la politique est indissociable de la vertu, non pas par morale mais pratique : « la capacité à dire la vérité, même lorsqu’elle dérange ». Pour lui, la première qualité d’un responsable public est la parrhésie ou le courage du parler vrai, « on ne peut pas réformer si l’on n’est pas d’accord sur les faits. La politique meurt de ne pas donner à la vérité sa juste place dans le débat public ».
Dans un monde saturé d’urgences, de réseaux et de relativisme, « Gouverner l’avenir » sonne comme un appel au sursaut. Redonner du temps, du sens et du courage à l’action publique, tel est le pari de ce haut fonctionnaire qui croit encore à la politique comme art de la durée. Reprenant sans le vouloir sans doute et sous une autre forme, ces mots restés dans l’histoire, d’un locataire de l’Elysée, à l’aube des années 80 : « il faut donner du temps au temps… ».

Propos entendus….
Céline BAHR : « Vous êtes à peu près à Edouard PHILIPPE, ce qu'Edouard PHILIPPE était à Alain JUPPE… »
Clément TONON : « En démocratie, on ne réussit rien de bien qu’en prenant notre temps, dans le débat, le temps de la discussion, le temps du compromis. Et dans notre monde où tout s’accélère, que ce soit par l’urgence des réseaux sociaux ou celle de la communication publique, tous les espaces où l’on préserve de la lenteur sont des trésors démocratiques… ».
« Les partis politiques et c’est à peu près leur unique rôle, c’est de réunir des gens, leur parler des idées, former des candidats et gagner des élections… ».
« On voit à l’usage, qu’une cohabitation est finalement moins préjudiciable que l’espèce de « bazar », pour rester poli, dans lequel nous vivons aujourd’hui… ».
« Parler d'écologie punitive, « emmerder » les Français pour reprendre les mots d'un président de la République, ça ne marchera plus, on sent qu'on arrive au bout du bout de ce modèle. En revanche, trouver un type d'objet parlant en même temps de souveraineté et d'écologie, ça marche... ».
« Tous nos choix économiques se sont faits pour que les consommateurs aient les prix les plus bas possibles. Ce qui signifiait parfois, d’envoyer nos usines à l’autre bout du monde, sacrifiant par là nos emplois et nos territoires. Et aujourd’hui, on le paie du point de vue de la cohésion nationale, on le paie du point de vue de la richesse nationale et on le paie du point de vue climatique parce que faire venir un tee-shirt de Pékin, sincèrement, la logique m’échappe… ».
Dominique BERNERD
Sans doute, se posaient-ils déjà plein de questions avant d’embarquer sur le tarmac de l’aéroport de Paris-Roissy-Charles-de-Gaulle, prélude d’un voyage de quatre jours bien garnis au niveau de l’emploi du temps ? Un vol devant transiter par Dublin, avant que le groupe ne rallie la capitale de l’Irlande du Nord, Belfast, par la voie terrestre, via l’autoroute M1 qui longe le littoral oriental de l’île si verdoyante, arrosée d’averses régulières. Les 45 élus de Puisaye-Forterre effectuant ce déplacement dans le cadre des « Entretiens de Champignelles », 35ème du nom, auront-ils eu in fine toutes les réponses à leurs interrogations ? Pas si sûr ! Mais, une chose est certaine : la plupart conserveront de beaux souvenirs de ce peuple ayant développé depuis vingt ans et le terme des troubles, le sens du compromis et de l’accueil…
CHAMPIGNELLES : Combien parmi les voyageurs venus de Puisaye-Forterre constituant ce petit groupe prêt à grimper à bord de l’A 320 de la compagnie « Air Lingus » connaissaient la partie la plus septentrionale de la « verte » Irlande ? L’Ulster, comme on la nommait il y a quelques années encore. Avec en guise d’opposition géographique et pas que, l’Eire, située dans la partie sud.
Très peu de participants de ce voyage d’étude, concocté dans le cadre des fameux « Entretiens de Champignelles », dont le trente-cinquième épisode se vit actuellement en cette période du mois de novembre, n'avaient foulé jusque-là le sol de cette grande île qui limite la partie occidentale de l’Europe. La terre la plus proche de l’Amérique du Nord, en vérité…
Et pourtant, que de richesses à découvrir et de dépaysements garantis, si cela ne se traduisait pas véritablement à la vue de la verdoyante campagne alentour des agglomérations principales – par endroit, cela ressemble à s’y méprendre au bocage normand ou à certaines visions de la Puisaye ! -, et de contacts chaleureux avec un peuple, communicatif, ouvert et fier de son appartenance à cette identité celtique aux origines si lointaines mais aussi communes avec nos Bretons !
Vécue de l’intérieur, l’expérience est unique. L’expérience ? Celle qui est proposée chaque année, dès l’automne revenu, par l’Association de formation des élus de Puisaye-Forterre avec ces rendez-vous, ces fameux « Entretiens », beaucoup plus intenses intellectuellement qu’il n’y paraît sur le papier.

Découvrir le système institutionnel du pays visité
L’actuel maître de cérémonie n’est autre que l’ancien édile de Champignelles, Jacques GILET. Un vaillant organisateur qui en chef de troupe assure le tempo et pilote la partie logistique de ces déplacements annuels aux quatre coins de l’Europe. Une année en Bulgarie, une autre en Lettonie. Un voyage immersif à Rome (ce fut le cas l’année dernière) ou la découverte de la vie institutionnelle et organisationnelle du Portugal, comme ce fut proposé il y a déjà 35 années de cela avec le séjour inaugural de cette série de rencontres avec des élus d’ailleurs. Des femmes et des hommes qui s’engagent à améliorer les choses de leurs collectivités territoriales au service de leurs administrés.
Le principe de ces déplacements à l’estampille « Entretiens de Champignelles » ne s’adosse pas uniquement à des notions de simples découvertes touristiques, culinaires ou culturelles. Bien sûr, la visite d’un musée – notons au passage le remarquable travail assuré par les muséographes de Belfast qui possèdent là un vaisseau amiral de la diversité culturelle et populaire avec ce musée consacré au « Titanic », imaginé et conçu dans la zone portuaire de la ville d’où est parti le célèbre paquebot en 1912 -, aura constitué une succulente cerise sur un gâteau à la pomme bio nord-irlandaise au vu de sa qualité esthétique et scénographique.
Non, les élus de Puisaye-Forterre ont eu l’opportunité de pouvoir tutoyer au plus près le fonctionnement (ou les dysfonctionnements !) des institutions locales, au travers de leurs projets existants ou expérimentaux comme cette futuriste ferme pédagogique à l’essence « développement durable », permettant à terme d’éduquer la population aux vertus de la diversité fruitière tout en les rapprochant du bien-vivre ensemble au niveau de la cohésion sociale – une vertu importante entre protestants et catholiques - si l’on se remémore les épisodes douloureux ayant marqué au fer blanc les rivalités communautaires de ce pays durant d’interminables années de luttes fratricides et de combats dont on perçoit encore les stigmates colorés par graffitis interposés sur les pans des maisons de Londonderry, rebaptisée depuis Derry.

Et si les milieux économiques étaient représentés ?
Ici, dans ce type de voyage à la planification millimétrée, les élus parlent aux élus. Du moins, ceux qui le peuvent malgré la non-maîtrise de la langue locale, un anglais idéalement pratiqué par quelques adeptes de la langue de Shakespeare au sein du groupe et la présence de traducteurs bien nécessaires à l’heure de l’IA et de Google ! Mais, quid du gaélique, sabir incompréhensible pour le commun des mortels que sont les Européens du continent si ce n’est pour les puristes !
Voyage d’étude utile que bon nombre de communautés de communes de l’Yonne devraient instaurer à l’avenir afin que leurs représentants puissent posséder un tout autre regard sur l’Union européenne et ses diversités fonctionnelles – rattaché au Royaume-Uni, l’Irlande du Nord est pourtant profondément ancrée à l’identité européenne qui fait défaut désormais à la Grande-Bretagne depuis le Brexit voulu par Boris JOHNSON -, ces déplacements ne sont pas vains, bien au contraire.
En interne, ils permettent aux élus de la même EPCI de se connaître, à défaut de se découvrir pleinement, mais ils offrent aussi la possibilité de pouvoir échanger avec des représentants de la société civile, des férus de sciences et d’histoire, des représentants de la sphère médiatique : seul bémol, il serait peut-être judicieux d’élargir le cercle aux représentants des milieux économiques et aux investisseurs qui pourraient pourquoi pas ramener de ces séjours de courte durée dans leurs besaces quelques belles pierres à ajouter à la construction de l’édifice des échanges internationaux en termes de business.

Des maires nord-irlandais renouvelés tous les ans !
A l’image de la vice-présidente de la Communauté d’Agglomération de l’Auxerrois, et maire de Coulanges-la-Vineuse, Odile MALTOFF qui aura joué les ambassadrices de la viticulture icaunaise en offrant quelques bouteilles de ses excellents nectars aux personnalités nord-irlandaises qui n’en espéraient pas tant ! Il en sera fait de même également pour les fromages du Jura (n’oublions pas notre appartenance à la Bourgogne Franche-Comté) avec de succulents morceaux de comté !
Quant à la « voix de la France », elle sera incarnée par la sénatrice de l’Yonne, Dominique VERIEN, qui entre deux sessions au Palais du Luxembourg en pleins travaux sur le budget, s’autorisa une petite escapade du côté de Belfast pour y saluer les officiels ainsi que ceux de Derry le lendemain, s’essayant au passage à la prise de parole en anglais qui lui valut de sincères applaudissements.
On retiendra aussi le mécanisme électoral atypique de ces élus de proximité que sont les lord majors nord-irlandais. Si les élections municipales ont lieu tous les cinq ans, l’édile est, quant à lui, changé chaque année par le conseil municipal. Un processus novateur, participatif et plein d’allant conférant une véritable dynamique à la fonction et au mandat. Un système à appliquer en France pour faire bouger les lignes devant tant d’inertie ? A méditer, non ? Ce que ne manqueront pas de faire les élus de Puisaye-Forterre qui se retrouveront le 21 novembre prochain à l’occasion de l’ultime volet de ces Entretiens 2025 à Champignelles !
Thierry BRET
