C’est par un passage de témoin que se sont ouverts les « Entretiens d’Auxerre », entre celui qui en fut la cheville ouvrière pendant plus de vingt ans, Sylvain JOLITON et son successeur, Jean-Philippe HOLEINDRE, président de l’association éponyme, désormais en charge de la manifestation. L’esprit des « Entretiens » demeure, avec l’assurance d’invités de qualité et de débats qui cette année, plus que jamais, font autorité…
AUXERRE : C’est une 23ème édition des « Entretiens d’Auxerre » un peu particulière qui s’est ouverte, vendredi matin au théâtre d’Auxerre, marquée par l’arrivée d’une nouvelle équipe présidée par le politologue auxerrois Jean-Vincent HOLEINDRE. Il a salué dans son discours introductif l’esprit dans lequel s’est déroulé cette transition : « un esprit républicain et d’éducation populaire », où prime le désir de discuter et d’échanger, sans nécessairement partager les mêmes idées.
A contrario d’une actualité récente venue d’outre-Atlantique : « où l’on a vu le spectacle d’une démocratie malade, avec des partisans de TRUMP qui ne parlent plus à ceux du camp voisin et adversaire, politiquement parlant. Tâchons d’éviter que cette chose-là arrive en France… ».
L’occasion pour le président de l’Association des Entretiens d’Auxerre de remercier celui qui tout au long de ces années, avec son équipe, a « porté » la manifestation et a su lui donner ses lettres de noblesse, Sylvain JOLITON : « l’âme et la cheville ouvrière de cette manifestation qui n’existerait pas sans ton énergie, ton immense chaleur humaine et ton dévouement… ».
« Une vraie alchimie s’est créée entre le public et nous… »
Pas facile de répondre à tant de compliments quand on est d’une modestie exemplaire et c’est en y associant « la bande de copains » qui l’entourait tout au long de ces années, que l’intéressé s’est livré à l’exercice, saluant entre autres, le public, « si vous n’étiez pas là, on aurait l’air un peu bête… », le remerciant pour sa « gentillesse » : « un mot un peu démodé aujourd’hui, où il faut être dur avec tout le monde pour ressembler à quelque chose ! ».
Se félicitant lui aussi de ce qui a fait la réussite des « Entretiens d’Auxerre », au fil des années : « on n’est pas obligés d’être d’accord sur tout, de demander si on est de droite ou de gauche, il y a un truc pour ça qui s’appelle l’isoloir ! Mais ici, les gens et c’est toujours ce que j’ai apprécié, échangent, en une sorte d’alchimie qui se crée entre tous et ça pour moi, si tant est que j’ai pu avoir une réussite, c’est celle-ci… ».
Avant le premier débat de la matinée, la présidente du Conseil scientifique des « Entretiens d’Auxerre » Valentine ZUBER s’est pour sa part exprimée sur le thème ayant servi de trame à cette édition 2024 : « on a voulu construire différentes thématiques qui à chaque fois, posent la question de l’autorité, de l’absence d’autorité ou de l’abus d’autorité, pour cerner au mieux un sujet un peu abstrait et apparemment compliqué… ».
L’autorité se porte mieux quand elle se conjugue avec la raison
Avant que ne lui succèdent à la tribune, comme il est de tradition, les représentantes des différents partenaires institutionnels de l’évènement. Ou l’on s’aperçoit avec bonheur que pour une fois, le féminin l’emporte sur le masculin ! Céline BAHR, adjointe au maire d’Auxerre en charge de la culture, l’assure, l’autorité est en crise : « c’est peut-être parce que nous avons congédié certains de ses fondamentaux, la transcendance, la capacité de discernement et le sens de la responsabilité… ». Convaincue que l’autorité suppose un minimum de verticalité, « ce qui n’est pas le fait de la démocratie moderne et encore moins de notre époque… ».
Au registre des autres fondamentaux régissant désormais l’autorité des pouvoirs publics, « il y a la dilution de la responsabilité, l’enchevêtrement des compétences entre l’Etat et les collectivités locales qui, nuit à la lisibilité d’actions publiques… ». Que subsiste-t-il de la légitimité de l’autorité à l’heure d’Internet, « alors que toutes les connaissances sont accessibles d’un clic et que « ChatGPT » peut rédiger une dissertation en moins de temps qu’il n’en faut pour formuler le sujet ? ».
Citant pour conclure, Saint-Exupéry et son « Petit Prince », pour rappeler que l’autorité se porte toujours mieux quand elle se conjugue avec la raison : « l’autorité repose d’abord sur la raison, si tu ordonnes à ton peuple d’aller se jeter à la mer, il fera la révolution. J’ai le droit d’exiger l’obéissance car mes ordres sont raisonnables… ».
L’époque est à l’individualisme et au rejet de l’autorité
C’est en piochant dans les écrits de Socrate, que l’élue départementale, Isabelle JOAQUINA, a évoqué le thème des « Entretiens 2024 », là où le philosophe grec, quatre siècles avant notre ère, se plaignait déjà de l’autorité bafouée : « nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. A notre époque, les enfants sont des tyrans… ». Et pour une fois, on ne pourra pas incriminer les réseaux sociaux et Internet ! Nos sociétés modernes n’ont fait qu’accentuer le problème et les causes sont multiples souligne l’élue auxerroise : « l’époque est à la déresponsabilisation et à l’individualisme, le travail, l’effort, sont loin de la vérité… ».
Rappelant toute la responsabilité en la matière, des réseaux sociaux, où l’absence d’autorité conduit à ses yeux, à l’anarchie : « portés par l’acte éphémère, il est possible à tout le monde et donc, à n’importe qui, de remettre en cause par un jugement expéditif et lapidaire, un raisonnement scientifique, économique ou universitaire… ».
Pourvu que l’autorité se borne à être juste…
Saluant à son tour Sylvain JOLITON, « et son sens incroyable de l’amitié, c’est grâce à lui que les « Entretiens » sont devenus ce qu’ils sont et ont résisté à toutes les tempêtes… », l’élue municipale d’opposition et conseillère régionale, Isabelle POIFOL-FERREIRA s’est amusée à relever toute l’intuition des organisateurs : « proposer de débattre sur l’autorité quelques jours après l’élection de Donald TRUMP, vous êtes d’accord avec moi, ils sont très forts ! ».
Evoquant, au risque de s’éloigner un peu du sujet initial, l’autoritarisme du personnage : « une brute, un raciste, un misogyne, qui ne respecte pas les lois, a des affaires en cours avec la justice et c’est lui l’homme d’autorité, choisi pour amener la sécurité, le calme et un retour à un passé fantasmé ! Ne rions pas, nous ne sommes pas à l’abri… ».
Avant de citer cet article des « Echos » paru en mars dernier, faisant état de l’évolution des systèmes politiques à travers le monde, avec un total de 73 régimes autocratiques sur les 137 pays étudiés ! Il fallait bien une citation de Benjamin CONSTANT pour oublier ce triste constat : « prions l’autorité de rester dans ses limites, qu’elle se borne à être juste, nous nous chargeons d’être heureux… ».
Dominique BERNERD