Le théâtre municipal était ouvert aux visiteurs lors des récentes Journées Européennes du Patrimoine. L’occasion pour nombre d’Auxerrois d’en découvrir ses espaces les plus secrets, d’ordinaire interdits au public et se pencher sur l’histoire d’un lieu inscrit aux Monuments Historiques depuis plus d’une dizaine d’années. Un lieu devenu au fil des années le phare emblématique de la scène culturelle auxerroise. Des visites organisées sous l’égide de son directeur, Pierre KECHKEGUIAN et de Laurent POUPARD, chercheur au service Inventaire et Patrimoine de la région…
AUXERRE : En préambule, un petit mot d’accueil de son directeur, « vous êtes ici devant une machine à faire du spectacle ! » et la visite du théâtre commence… Une première dans l’histoire des Journées du Patrimoine et déjà une réussite à voir le nombre de personnes inscrites tout au long du week-end. Difficile pour autant, quand on en regarde la façade aujourd’hui, d’imaginer qu’au XVIIIe siècle, le lieu se partageait entre d’une part, le presbytère de l’église Saint-Pierre toute proche et de l’autre, les entrepôts d’un commissionnaire en vins ! La ville racheta les locaux en 1834, avec l’idée d’en faire une école de filles, comme le dévoile Laurent POUPARD : « une idée révolutionnaire pour l’époque, quand on sait que l’éducation était le plus souvent réservée à la gent masculine et qu’il fallut attendre le 15 mars 1850 pour que la loi Falloux rende obligatoire la parité dans l’enseignement pour toute commune de plus de 800 habitants ».
L’on y accueillit jusqu’à trois classes jusqu’à ce que la ville décide de construire une autre école de garçons, rue du Pont (aujourd’hui école Jean Zay). L’espace libéré permit à la ville d’y créer une école pratique d’industrie pour apprendre à travailler le bois et le métal, un secteur alors en pleine expansion, avec l’usine GUILLET voisine. Faute de place pour s’agrandir, l’école en 1935, déménagea avenue Gambetta, en un lieu qui abrite de nos jours le Conservatoire de musique et de danse. Comme un retour aux sources en somme et un clin d’œil à l’Histoire…
Rendre la culture perméable au plus grand nombre
C’est en 1936 que, dans l’élan du Front Populaire, la municipalité projeta d’aménager sur le site de l’ancienne école pratique d’industrie une « Maison du peuple », pour y abriter une salle des fêtes et les activités du patronage laïque d’alors, partagées entre les filles côté cour et les garçons côté jardin. Pour la mixité, il faudra attendre un peu ! Si les travaux débutèrent en 1937, ils ne s’achevèrent que quatorze ans plus tard, Seconde Guerre mondiale oblige, ponctués par l’inauguration des lieux en 1953. Exit le nom de « Maison du peuple », remplacé par celui jugé sans doute plus consensuel à l’époque, de « Théâtre municipal ». Le début d’une histoire n’ayant fait que s’enrichir au fil des années, pour aboutir en 2012 à l’inscription du site au registre des Monuments Historiques. Un lieu mythique dont la scène, de Jacques BREL à BARBARA, en passant par Michèle MORGAN, accueillit les plus grands noms de la chanson et du théâtre populaire. Aujourd’hui rebaptisé « Scène conventionnée d’intérêt national », il poursuit sa vocation première de rendre la culture perméable au plus grand nombre, au détour de spectacles certes plus intimistes, mais ne cédant jamais à la facilité, pour le plus grand bonheur de ses nombreux et fidèles abonnés.
Un outil fonctionnel qui répond aux normes des spectacles vivants
Au fil des décennies, le théâtre municipal connut plusieurs rénovations, comme dans les années 70 ou plus tard, à la fin des années 90, sous l’ère de son directeur d’alors, Jean PIRET, qui lui apporta sa configuration actuelle. Le choix fut fait d’agrandir la scène et supprimer la fosse d’orchestre pour offrir un jeu moins contraint aux acteurs ou musiciens, au détriment du nombre de fauteuils disponibles. Un choix politique fort explique Laurent POUPARD : « à l’origine, le théâtre disposait de 750 places pour 550 aujourd’hui. Une jauge réduite mais plus confortable, synonyme de moins de recette et par conséquent, d’une participation plus importante de la collectivité… ».
Mais comment évoquer le théâtre d’Auxerre sans un mot sur les fresques ornant ses murs et son plafond, dont pour l’occasion, quelques esquisses sorties des réserves municipales étaient présentées aux visiteurs ? Réalisée au sortir de la guerre, l’œuvre du peintre auxerrois Jean BURKHALTER résonne en écho au style Art Déco des lieux, « bien loin des traditionnels angelots et dorures en vogue à l’époque, qui faisaient de chaque théâtre une bonbonnière… ».
Et selon les mots de Pierre KECHKEGUIAN, « un bâtiment charmant qui répond aux normes actuelles du spectacle vivant, un outil qui fonctionne très bien et dont on peut être fier ! ».
Appréhendant toutefois avec quelque inquiétude l’outrage du temps sur ces œuvres classées : « le directeur de théâtre que je suis, redoute le moment où on viendra lui dire qu’il faut restaurer fresques et plafond… ». Les échafaudages s’accommodant mal du spectacle vivant !
Dominique BERNERD