Une lecture. Puis, une à deux chansons. Parfois, trois airs qui s’enchaînent dans un silence de cathédrale, parmi le public, ravi d’être là. On appelle ce concept, le « concert-lectures ». Une complémentarité à l’unisson entre la voix, forte et puissante du narrateur, l’excellent homme de théâtre et en charge de la programmation culturelle de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de l’Yonne, Alain GRIVEL et les virtuoses instrumentistes. La SSHNY proposait après la venue de la comédienne Marie-Christine BARRAULT, une seconde soirée à la Maison de Marie NOEL, tout aussi pertinente et réussie que la précédente. Avec en contre-point musical, le Trio « Chimères », impeccable dans la juste interprétation de ses œuvres…
AUXERRE : On ne vantera jamais assez les qualités bucoliques de l’endroit. Ce théâtre de verdure, accueilli dans l’ancien domicile de la poétesse Marie NOEL, en plein cœur de la capitale de l’Yonne. Un site qu’il faut avoir visité au moins une fois dans son existence pour en apprécier son architecture, la beauté de ces fleurs, le calme quasi olympien (c’est plutôt de circonstance) de son jardin et qui habite cet espace, propice aux muses et à la déclamation de poèmes…
Une sérénité troublée de temps à autre et de manière fort appréciable par une manifestation que la SSHNY, la Société des Sciences Historiques et Naturelles de l’Yonne, a le secret dans sa conception. Comme ce concert-lecture, inhérent au niveau de sa thématique à la commémoration du 80ème anniversaire de la Libération d’Auxerre.
L’ombre de Michel BERNSTEIN s’est invitée à la soirée
Lors de ce dernier rendez-vous, s’étalant sur plusieurs jours, la SSHNY ne pouvait ne pas rendre hommage à l’une des figures de la Résistance que fut Michel BERNSTEIN. Un sacré personnage. « Mon ami, dira avec des trémolos dans la voix, un brin ému, le président de la docte structure associative, Alain CATTAGNI, à l’issue de cette deuxième soirée d’exception. La précédente eut lieu la veille avec la venue sur la scène du théâtre de verdure de l’excellente comédienne, Marie-Christine BARRAULT, marraine de la Maison de Marie NOEL.
Michel BERNSTEIN et son courage. Son engagement et sa volonté à lutter à sa manière contre l’occupant, durant les heures sombres de la France. Un pédagogue, aussi, au-delà de ses connaissances intellectuelles. Il publiera avec son épouse Monique ROLLIN, le « Manuel du Faussaire », un opuscule très utile pour que les résistants du nazisme ne puissent tomber dans leurs griffes acérées…
Reclus dans un petit appartement parisien à partir de février 1942, le couple développera un atelier clandestin de fabrication de faux papiers. Douze mille tampons seront ainsi créés !
Une complémentarité parfaite entre le narrateur et les musiciens
Il revenait au responsable de la production artistique de la SSHNY, Alain GRIVEL, de lire des extraits choisis et progressifs dans la compréhension de cette existence passionnante lors de ce récital lecture du plus bel effet. Aux côtés des trois musiciens et interprètes du Trio « Chimères » - la harpiste Chloé DUCRAY – elle collabore régulièrement avec les plus grands orchestres nationaux de l’Hexagone dont l’Orchestre National de France ou l’Opéra national de Paris -, Jean-Lou LOGER, violoncelliste de son état et diplômé du Conservatoire national supérieur de musique et danse de Lyon – un artiste au cursus similaire de sa collègue harpiste-, et de la soprano, Roxane CHALARD – quel timbre de voix ! -, notre lecteur Alain GRIVEL immergea le spectateur dans cette époque lointaine mais tellement vivante à la fois.
Chacun aura pu apprécier la narration parfois théâtrale de l’ancien professeur de lettres et chanteur lyrique qui désormais se consacre pour une passion toute aussi prenante, le théâtre.
La Résistance se décline aussi en chansons satiriques
Parmi la quinzaine de pièces jouées et chantées par le fameux trio, gracieux et à l’aise dans son interprétation, les puristes de la ritournelle d’avant-guerre auront reconnu des airs de Charles TRENET « La Romance de Paris », revisitée et modifiée par l’autrice Claudette GIRODON en 1942 pour en faire « La Romance de PETAIN » avec des paroles qui évoquent le retour de Pierre LAVAL au gouvernement de manière très satirique. Mais, aussi, « Mon amant de Saint-Jean », chanson datant de 1944, remise au goût du jour par Patrick BRUEL il y a quelques années et qui en cette année de Libération devient « Tempête sur Israël », sous la plume d’un trio de créateurs, Emile CARRARA, FRANCOEUR et AGEL.
On notera aussi la remarquable suite, façon trilogie, de « Chanson des V » sur la musique de la cinquième symphonie de BEETHOVEN, « Boum » de Charles TRENET revue et corrigée à la sauce d’un texte vantant les actions des maquisards de Saint-Paul et « La Chanson du Maquis » sur l’air populaire de « La Madelon ».
Si en ouverture, tout en traversant le jardin à pas lent avant de rejoindre l’estrade, le trio nous avait gratifié d’une sublime version a cappella du « Chant des Partisans » - on revoit toujours Yves MONTAND l’interpréter sur une scène parisienne ou plus récemment Lambert WILSON lors de la cérémonie anniversaire du Débarquement sur les plages normandes -, il conclut son récital sur le très enjoué et dynamique « Ca va très bien » (inspirée de l’air similaire avec « Madame la Marquise »), véritable pamphlet contre Adolf HITLER qui commence à connaître de sérieux revers à partir de juillet 1944. Après les rappels d’usage et amplement mérités pour le trio, celui-ci revint pour une ultime apparition avec le célèbre morceau de Boris VIAN, « Le Déserteur », dont le texte donne toujours la chair de poule…
Autant de paroles à méditer alors que la guerre est revenue depuis deux ans aux portes de l’Europe.
Thierry BRET