La politisation des Jeux Olympiques, qu’il s’agisse des états et des athlètes, n’est pas neuve. Depuis la Grèce Antique, en passant par Rome, la politique a souvent été prégnante. Aujourd’hui, on atteint des sommets d’incohérence et d’incongruité. Le Comité Olympique Français et le CIO affirment une volonté politique hors du commun. Des athlètes nationaux affichent des positions partisanes en condamnant tel ou tel parti politique, déchaînant encore plus les passions sur la toile. On croyait qu’il existait encore deux espaces neutres : le concours de l’Eurovision et les Jeux Olympiques. Force est de constater qu’aujourd’hui tout devient politique !
TRIBUNE : Les Jeux Olympiques de jadis permettaient aux villes grecques de rivaliser. Ainsi, pour assoir l’autorité des dirigeants, la ville accordait des avantages non négligeables aux athlètes ayant leur faveur : exonération d’impôts à vie, offre d’une maison… Très vite, les hommes politiques ont vu la nécessaire instrumentalisation des JO, à la seule fin de conforter leur pouvoir. Un des plus grands scandales de corruption de l'Antiquité est la participation de l'empereur romain Néron aux JO de l'an 67 après J.-C., qui acheta sa victoire et fit même ajouter des disciplines dans lesquelles il excellait, tels le chant et la pantomime !
Il fit parvenir un million de sesterces aux arbitres et aux organisateurs à qui il devait son succès. Galvanisé par son triomphe, il promit également une exonération fiscale à son hôte, la province romaine qu'était alors la Grèce, et alla même jusqu'à tenir son propre discours de remerciement pour ce « cadeau si grand que vous n'auriez pas osé me le demander ! ». En 67, si Néron triompha aux Jeux Olympiques, il revint à Rome avec 1 808 couronnes d'olivier ; toutes symbolisaient une victoire. Depuis, le Comité Olympique a fait annuler l’année 67, du tableau des médailles !
Vers l’instrumentalisation du sport
Les Jeux Olympiques, parce qu’ils sont un événement concentrant l’attention des médias et de l’opinion publique du monde entier, virent souvent leur objectif premier dévoyé. Certains états en ont fait une arme de politique étrangère, voire un instrument de propagande. Que ce soit l’Allemagne hitlérienne avec les Jeux de Berlin en 1936, l’Union Soviétique avec les Jeux de Moscou en 1980, ou la Chine avec ceux de Pékin. Ces états perçoivent l’octroi et l’organisation des Jeux comme le moyen de sublimer et de légitimer leur régime au regard du monde entier. L’événement leur donne aussi la possibilité de prouver leur autorité.
1920 : Anvers. Ces Jeux sont organisés en hommage aux souffrances endurées par les Belges pendant la Grande Guerre. Les vaincus en sont exclus (Allemagne, Autriche, Hongrie, Turquie, Bulgarie). C'est la première décision de caractère politique dans l'histoire de l'olympisme moderne. En 1936, durant les JO de Berlin, l’Américain Jesse OWENS remporta quatre médailles d’or et battit ainsi les blonds ariens ! HITLER refusa de serrer la main à un vainqueur qui mit à mal les théories raciales du nazisme. Jesse OWENS rappellera avec amertume dans ses mémoires, qu'il n'était pas mieux traité dans l'Amérique de la ségrégation qu'en Allemagne !
Aux JO de Melbourne en 1956, en raison de l’intervention franco-britannique sur le canal de Suez, l’Égypte, le Liban et l’Irak ont refusé d’y participer. Et pour protester contre l’intervention soviétique à Budapest, l’Espagne, la Suisse et les Pays-Bas n’ont pas envoyé d’athlètes à Melbourne. Sans oublier la République Populaire de Chine qui s’est abstenue en raison de la présence de Taïwan. On notera un match de water-polo très violent, entre la Russie et la Hongrie. Les coups donnés discrètement sous l’eau, firent couler du sang dans le bassin !
Des luttes intestines entre pays qui éclatent au grand jour…
Au-delà – ou en deçà – de ces boycotts, les Jeux Olympiques sont également le théâtre d’autres formes d’expression politique, en dépit de la Charte olympique, dont le préambule impose le « principe de neutralité politique » à toute organisation membre, et de l’article 50 qui prévoit qu’« aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale ne soit autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ».
Ainsi, à Londres en 1908, l’hostilité du pays hôte à l’égard de l’olympisme et les tensions entre lui et les États-Unis, son ancienne colonie, ont émaillé la compétition de part en part. Cela a commencé par l’« oubli » des organisateurs de faire flotter la bannière étoilée dans le stade olympique, auquel a répondu le refus du porte-drapeau de la délégation US, de respecter l’usage consistant à faire une révérence au roi Édouard VII en arrivant à sa hauteur.
Plus largement, cette édition a été marquée par des accrochages récurrents entre les représentants des deux nations sur les terrains, avec de multiples accusations de tricherie à la clé. De même, durant la « guerre froide », les Jeux ont constitué un terrain privilégié d’affrontement entre les blocs capitaliste et socialiste dès lors que l’URSS a intégré les Jeux au début des années 1950. Cette décision entérinait le revirement stratégique amorcé au milieu des années 1930 dans le contexte plus général du « Front Populaire » contre le fascisme. Jusque-là, en effet, les militants communistes de toute l’Europe, voyaient dans le mouvement olympique l’incarnation du « sport bourgeois », dont ils ne cessaient de dénoncer l’hypocrite revendication de neutralité, et clamaient au contraire le caractère éminemment politique du sport. On peut encore penser aux différents sportifs qui ont payé l’affichage de leur soutien à différentes causes politiques, notamment l’égalité « raciale » pourtant censée être au cœur des valeurs olympiques, par la déchéance de leurs titres et une exclusion à vie des Jeux.
Douloureuse transition vers un monde multipolaire
Pour la première fois, en 1964, les Jeux Olympiques se déroulent sur le continent asiatique, dans un pays non blanc, et qui plus est, chez l'un des vaincus de la Seconde Guerre mondiale, le Japon. À l'heure de la décolonisation et de la montée du « tiers-monde », il s'agit d'un symbole chargé de sens. Tellement, que dès les éditions suivantes, la politique va faire irruption dans les Jeux, de façon généralement violente.
En 1968, à Mexico, les évènements s’enchaînent : La finale du 200 m messieurs voit deux athlètes afro-américains monter sur le podium : Tommie SMITH, nouveau recordman du monde, et John CARLOS, en bronze. Lors de la remise des médailles, les deux Américains lèvent un poing ganté de noir et gardent la tête baissée pendant que résonne l'hymne des Etats-Unis, afin de dénoncer la situation des personnes de couleur dans leur pays, tandis que le deuxième, l'Australien Peter NORMAN, porte aussi le badge « Projet olympique pour les droits de l'Homme » sur sa veste, à l'heure où son pays pratique aussi une forme d'apartheid. Le CIO, alors dirigé par le très réactionnaire américain, Avery BRUNDAGE ne veut pas de politique dans ses olympiades et les exclut tous les trois à vie des Jeux Olympiques. BRUNDAGE qualifiera même l'événement de « sale manifestation contre le drapeau américain par des négros »…
1972, les JO de Munich : c'est sans conteste, la pire page du sport de l'ère moderne. Le 05 septembre 1972, soit cinq ans après la guerre des Six-Jours et la résolution de l'ONU exigeant d'Israël le retrait des territoires arabes conquis, un commando de huit Palestiniens de l'organisation terroriste « Septembre Noir », équipés de survêtements et de sacs de sport chargés de fusils d'assaut, de pistolets et de grenades, pénètre dans l'immeuble de la délégation israélienne. Bilan : 17 morts dont 11 athlètes israéliens. La foule applaudit, la communauté internationale suit la volonté de BRUNDAGE : il affirme « qu’il est nécessaire de poursuivre les Jeux… ».
Et voilà Paris 2024 !
Athènes et ses alliés exclurent Sparte de la participation aux Jeux de 424 av. J.-C. en raison de la guerre du Péloponnèse. Le CIO de 2024 n’invente rien. Le ridicule précède cependant la honte. En effet rien n’est épargné aux pestiférés du sport. Tout d’abord Russes et Bélarusse sont exclus de la compétition, qu’ils soient bien-portants ou handicapés. Puis, le CIO finit par admettre que ces deux pays pourraient participer à des conditions drastiques : athlètes sélectionnés par le CIO (critères politiques), certaines disciplines exclues, athlètes exclus de la cérémonie d’ouverture, si médaille, un drapeau vert pomme (la pomme de la discorde ?) et un hymne spécialement composé par le CIO (musique sans parole). Ajoutons que notre Comité National Olympique déclenche polémique sur polémique : l’affiche officielle et le nom de la chanteuse pour la cérémonie d’ouverture ! S’il vous plaît, pouce, stop, l’important, c’est de chanter, peu importe qui, du moment qu’elle ou il garde le sourire et partage son désir d’honorer la France.
Où est passé l’humanisme, tout simplement : on n’ose même plus parler de l’éthique dans l’olympisme. Pas plus du côté du CIO que du côté de certain joueurs. Espérons que 2024, offrira à Paris, de beaux spectacles de sport et que le calme sera au rendez-vous… On veut de la joie, de la gaité et que la fête commence !
Paul GUILLON