La dette totale de l’Union Européenne, fin 2023, représentait près de 14 000 milliards d’euros (83 % du PIB). Les ratios les plus élevés de la dette publique par rapport au PIB à la fin du troisième trimestre 2023 ont été enregistrés en Grèce (165,5 %), en Italie (140,6 %), en France (111,9 %). 83 % de la dette de l’UE est représentée par des tires de créances (bons du trésor émis par l’UE). La France fait partie des derniers de la classe et fait l’objet d’une enquête de la Commission européenne. Elle donne un avertissement à la France pour sa mauvaise gestion budgétaire.
TRIBUNE : Si, depuis plus de deux siècles, les économies des états reposent peu ou prou sur la dette, aujourd’hui elle atteint des niveaux record, laissant ainsi quelques pays au bord de la faillite ! Si la France, dans le contexte explosif des élections législatives anticipées est aujourd’hui au bord du précipice (dixit l’UE), certains partis politiques n’hésiteront pas à nous accompagner dans un grand pas en avant….
La dette ou la vision américaine…
Le contexte américain de la fin du XVIIIème siècle est édifiant à plus d’un titre. Les États-Unis naissent endettés. En 1783, le pays est plongé dans une grave crise de gouvernance intimement liée au remboursement de ses dettes. Adoptée en 1781, la première Constitution de la République américaine, les Articles de la Confédération, donnent naissance à un état central très faible. Pour persuader les électeurs des états d’approuver ce nouveau texte qui vient renforcer les pouvoirs de l’échelon fédéral, ses défenseurs doivent contrecarrer les arguments des anti-fédéralistes qui refusent cette centralisation au nom de la souveraineté des états.
Alexander HAMILTON, James MADISON et John JAY collaborent à la publication d’une série d’articles, les célèbres « Cahiers Fédéralistes », dans lesquels ils répondent aux attaques des anti-fédéralistes pour rassurer les électeurs de l’État de New York. Parmi les nombreux arguments qu’ils développent en faveur de la nouvelle Constitution, ils insistent notamment sur le besoin d’accorder à l’État fédéral le pouvoir de prélever ses propres impôts pour assainir les finances publiques. L’administration du Président Georges WASHINGTON se retrouve rapidement divisée entre les partisans du secrétaire au trésor, Alexander HAMILTON, et ceux du secrétaire d’État, Thomas JEFFERSON. Les premiers gardent le nom de Fédéralistes car ils souhaitent renforcer davantage le pouvoir de l’échelon fédéral. Pour ce faire, le secrétaire au Trésor propose que l’État fédéral « assume » les dettes des États fédérés. Cette restructuration (assumption) des dettes aurait pour conséquence de fédéraliser largement les instruments de crédit qui permettent de financer les premières. Conjuguée à la création d’une Banque nationale (First Bank of the United States) sur le modèle anglais de la Banque d’Angleterre (Bank of England), la fédéralisation de la dette publique doit aussi permettre de mieux contrôler les états à qui la Constitution avait déjà retiré le pouvoir d’émettre des titres de crédit.
L’UE : un parallèle saisissant avec l’Amérique du XVIIIème siècle
Aujourd’hui, certains états membres de l’UE rejettent toute idée de fédéralisme pour l’Europe, au profit d’un nationalisme qui se veut plus proche des intérêts du pays qu’il représente. La préférence nationale contre la préférence européenne. Notons immédiatement que ni le Traité de Rome, ni même les traités suivants, n’impliquent un quelconque fédéralisme, si ce n’est de donner une préférence communautaire. On s’aperçoit qu’il en n’est rien. Jamais, les pays d’Europe n’ont cherché à privilégier les entreprises communautaires, préférant la Chine ou les Etats-Unis !
L’Europe a aujourd’hui la primauté sur toute décision individuelle. Notre Président se présente comme le défenseur d’une Europe fédérale et le pourfendeur des nationalismes. Dans les faits, la France ne peut plus faire grand-chose sans l’assentiment de la Commission Européenne et sans l’Oncle Sam pour toute la stratégie militaire. La dette publique est au cœur des préoccupations de presque tous les pays de la Communauté Européenne (CE). Un pays seul ne peut pas la gérer. La Commission européenne, associée à la BCE (Banque Centrale Européenne), permet aux états de gérer leurs dettes en les plaçant sur les marchés financiers.
Le locataire de l’Elysée : une idée derrière la tête !
La Commission européenne envisage des procédures pour déficit public excessif contre sept pays de l’UE : la France, l’Italie, la Belgique, la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et Malte. Une idée défendue par notre Président et Bruno LE MAIRE : la création d’un Fonds Souverain Européen. Un fonds souverain est un fonds d’investissement détenu par un État, ici l’Europe. Le concept critique présente aujourd'hui plus que jamais, un potentiel de bouleversement et de transformation économique, stratégique et financier à l'échelle mondiale. Les fonds souverains sont de plus en plus assimilés à la logique capitaliste du développement économique, du pouvoir financier et de la souveraineté s'inscrivant dans une nouvelle géopolitique. Les fonds souverains ont progressivement remplacé la géopolitique par la géoéconomie, la géostratégie et la géofinance, car la puissance de la souveraineté de l’État, ou de l’Europe, est toute entière guidée, parallèlement ou en complément de son volet diplomatique, stratégique et militaire.
La recherche, l'obtention et le maintien par tous les moyens, d’une position privilégiée sur les marchés financiers stratégiques ainsi que dans les zones d’investissement et les couloirs économiques, peuvent justifier l’Europe fédérale. Le budget de l’Etat est grevé par le remboursement des dettes passées, liées aux déficits budgétaires. On obère d’autant les stratégies de développement (I.A., centrales nucléaires…) et de réindustrialisation. Un Fonds Souverain Européen répond à cet objectif. Le pas est franchi, peu d’autres solutions financières, pour investir…
Une pluie de monnaie, la fédéralisation des fonds pour investir, ouvre une brèche dans la fédéralisation des dettes. Le financier dicte sa loi, et comme aux Etats-Unis de la fin du XVIIIème siècle, la dette aura raison de nos autonomies nationales. Le débat est lancé, Emmanuel MACRO avait-il raison ou tort de vouloir un fédéralisme pour l’Europe ? Une justification plus manichéenne du « ça coûtera ce que ça coûtera » ? L’avenir le dira, mais la France, comme beaucoup d’autres pays endettés en Europe, a tout intérêt à globaliser les dettes financières…
« Il y a deux façons de conquérir et d'asservir un pays ». L'une est par l'épée. L'autre est par la dette. John ADAMS.
Jean-Paul ALLOU