Les trémolos dans la voix attestent de la solennité de l’instant. Ils trahissent la profonde émotion de l’orateur. Grave, debout face à l’auditoire, la feuille tendue à bout de bras, le président du Conseil départemental de l’Yonne dénonce l’invasion des Russes en Ukraine. « Une déclaration de guerre…, insiste-t-il lourdement. Tendant les bras aux réfugiés qui déferlent massivement vers l’Europe. A toutes ces victimes du « dictateur POUTINE » devait-il conclure avec fermeté…

AUXERRE : L’exercice vécu est inhabituel en séance plénière du Conseil départemental. Une prise de parole en guise de préambule, relative à l’actualité internationale de la part de son président.

Cible de ses propos : l’Ukraine. Pays du Vieux continent qui subit les affres belliqueuses de son puissant voisin, la Russie. Vingt-trois jours déjà. Et son lot quotidien d’images insoutenables. Et ces listes de victimes civiles et militaires qui ne cessent de s’allonger, en témoigne le drame, le martyre, que vit la cité portuaire de Marioupol.

L’Ukraine : c’est à deux heures d’avion d’ici…

Palpable, l’émotion gagne les travées de l’hémicycle départemental dès le premier mot prononcé par Patrick GENDRAUD. Debout, à la tribune présidentielle, il s’adresse, le visage blême, à ses collègues qui l’écoutent dans un silence de plomb. Pas une mouche ne bruisse de ses ailes. Aucune sonnerie de portable n’ose troubler l’allocution émouvante de l’ancien maire de Chablis. Qui se réfère de temps à autre à la trame de son discours qu’il tient dans la main. Il n’a pas besoin de le lire ses notes. Tant les termes employés lui sortent naturellement de la bouche, avec le cœur, les tripes et toute son âme.

« L’Ukraine, mes chers collègues, c’est à deux heures d’avion de cette assemblée… ».

Une guerre qui se situe aux portes de l’Europe occidentale. Un conflit horrible et destructeur. Puis, l’orateur reprend en haussant le ton : « si des deux côtés, les corps tombent, ce sont bien les Ukrainiens qui fuient leur pays dévasté par les bombes de Vladimir POUTINE. Ce sont bien les Ukrainiens qui voient leurs maisons détruites comme l’ensemble de leurs biens… ».

Ils pourraient être nous, nous pourrions être eux…

Personne ne pipe mot parmi l’assistance. Celle des élus, comme celle des représentants de services techniques. Derrière le pôle réservé à la presse, les quelques spectateurs de la séance sont pensifs. Ils écoutent attentivement le discours.

« Treize mille Ukrainiens (ils sont près de trois millions déjà à avoir fui leur pays) ont trouvé refuge à ce jour sur le sol de l’Hexagone, continue Patrick GENDRAUD, des familles entières, principalement des femmes et des enfants, auxquels nous devons plus que de l’assistance… Ils pourraient être nous ! Nous pourrions être eux !».

Vient ensuite le moment des interrogations légitimes. Patrick GENDRAUD pose à voix haute ce que beaucoup susurrent tout bas dans le landerneau depuis plusieurs jours : « que va-t-il advenir d’eux ? ».

Un questionnement qui reste suspendu dans le vide sidéral de cet hémicycle silencieux avant que ne tombe sur les esprits la seconde lame de ce couperet cinglant : « que serait-il advenu de nous si… ? ».

Une nouvelle page d’histoire s’écrit devant nous…

En filigrane, si les Ukrainiens ne résistaient pas avec force et vigueur pour contrecarrer les plans du maître du Kremlin et éviter la contagion à l’ensemble de l’Europe ?

Personne ne possède les réponses. Ni ici, ni ailleurs. Mais, prophétique, le chef de file de la majorité départementale esquisse une hypothèse : « la géopolitique et ses enjeux qui parfois nous dépassent vont dessiner un nouveau monde… ».

Pas de quoi se réjouir en ces instants solennels où prévient le président : « Nous ne pouvons fermer les yeux. Il faut en être conscient : c’est la réalité ! ».

Serions-nous devant une nouvelle page d’Histoire qui est en train de s’écrire sous nos yeux ?

Réponse de l’intéressé : « Certains d’entre vous le savent déjà, la majorité j’imagine, en vos qualités d’élus »…

C’est bel et bien un nouveau fait de l’histoire, avec un grand H, que nous vivons là. Celle d’une humanité en proie avec ses vieux démons de belligérance à accomplir et d’incompréhension entre ses représentants qui inlassablement nous poursuit. Jusqu’à la fin des temps ?

Thierry BRET