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« Le goût du temps long face à la tyrannie du court terme » : Clément TONON appelle au sursaut de la pratique politique…

« Dans un monde saturé d’urgences, de réseaux et de relativisme, « Gouverner l’avenir » sonne comme un appel au sursaut. Redonner du temps, du sens et du courage à l’action publique, tel est le pari de ce haut fonctionnaire, Clément TONON face aux auditeurs des « Conversations de l’Abbaye », qui croit encore à la politique comme art de la durée… ». « Dans un monde saturé d’urgences, de réseaux et de relativisme, « Gouverner l’avenir » sonne comme un appel au sursaut. Redonner du temps, du sens et du courage à l’action publique, tel est le pari de ce haut fonctionnaire, Clément TONON face aux auditeurs des « Conversations de l’Abbaye », qui croit encore à la politique comme art de la durée… ». Crédit Photos : Dominique BERNERD.

Rapporteur général du Haut-Commissariat au Plan et proche d’Edouard PHILIPPE, Clément TONON était l’invité des premières « Conversations de l’Abbaye » de la saison. Il y a présenté son essai, « Gouverner l’avenir », plaidoyer pour une politique libérée de la « dictature de l’instant » et réconciliée avec le temps long. Plaidant, face à des institutions déréglées et une action publique happée par l’urgence, pour une refondation du rapport au temps dans nos institutions, une écologie de la puissance et une éthique de la vérité…

 

AUXERRE : Comment gouverner une nation si la politique ne sait plus penser au-delà de l’horizon immédiat ? C’est devant un public venu une nouvelle fois en nombre à Saint-Germain, que Clément TONON a livré quelques éléments de réponse à partir de son ouvrage paru en mars dernier, « Gouverner l’avenir, retrouver le sens du temps long en politique ». Loin d’être un théoricien hors sol, cet ancien conseiller de Christophe BÉCHU au ministère de la Transition écologique, connaît de l’intérieur la mécanique étatique et ses limites. Il a témoigné une heure durant, de l’impétueuse nécessité à redonner à la politique une profondeur de champ, à l’heure où l’urgence, la communication et la fragmentation des débats ont fait perdre à la République son souffle stratégique. Un discours lucide et sans ambages : « Nous avons déréglé notre horloge démocratique ».

 

Repenser le cadre démocratique

 

Pour celui qui se réclame de la tradition gaulliste, la dissolution de 2024 aura été un véritable électrochoc. « La Ve République, conçue comme le régime du temps long, de la stabilité et de la puissance publique, s’est transformée en régime du court terme et de l’impuissance, c’est ce que l’on constate tous les jours à l’Assemblée nationale... ». Voyant dans la coïncidence du quinquennat présidentiel et législatif la cause première de cette dérive : « Le président est devenu un super Premier ministre. La symphonie des temporalités institutionnelles s’est brisée ». Sa première proposition est radicale : rétablir un mandat unique de sept ans pour rendre au chef de l’État une vision au-dessus des partis, détachée du cycle électoral : « En l’empêchant de se représenter, on le libère des contingences partisanes et on rend au politique le goût du temps long ». Avec à la clé assure-t-il, un rééquilibrage du pouvoir exécutif autour du Premier ministre, responsable de la conduite quotidienne du gouvernement, tandis que le président retrouverait sa fonction d’arbitre et de stratège.

Clément TONON s’attaque également à la mécanique budgétaire, qu’il juge trop rythmée par le court terme, proposant la création d’un budget de législature, voté pour cinq ans, fixant des priorités claires : éducation, transition écologique, défense, encadré par une règle d’or constitutionnelle : « Il faut sortir du psychodrame budgétaire annuel pour redonner de la visibilité à l’action publique… ». S’inquiétant dans le même temps, d’une démocratie qui selon lui, a perdu ses lieux d’apprentissage et de débat : « les partis politiques se sont dévitalisés, ils ne forment plus, ne structurent plus. En France, on a perdu deux millions de militants depuis les années 1970… ». S’inspirant du modèle allemand, il plaide pour une revalorisation et un financement accru des partis démocratiques, capables de produire des idées, des programmes, tout en recréant des espaces de discussion entre citoyens.

 

 

Une écologie puissante et protectrice

 

Pour l’invité du jour, pas d’opposition entre écologie et croissance : « C’est une erreur profonde d’avoir présenté l’écologie comme une contrainte ou une punition… ». Préférant l’envisager à la fois comme angle de la protection des paysages, des emplois, des identités territoriales, mais aussi de la puissance : « La Chine, les États-Unis, la Russie ont compris que la décarbonation était un instrument de puissance. L’Europe doit faire de même… ». Reprenant des éléments de son essai, il propose de fusionner économie et climat dans un même ministère, afin d’arrimer la transition écologique au cœur du développement industriel : « Il faut cesser d’opposer Bercy et l’écologie, la décarbonation est aussi une politique industrielle… ». Tout en appelant à défendre une « écologie de souveraineté », capable de rallier toutes les sensibilités politiques, comme l’avait fait la loi contre la fast fashion, adoptée à l’unanimité en 2024 : « Cette loi protégeait à la fois nos emplois et la planète. C’est cet équilibre entre souveraineté et écologie qui peut recréer une majorité de projet dans le pays ».

 

 

Dire la vérité pour gouverner l’avenir

 

En guise de conclusion, Clément TONON est revenu sur ce qu’il qualifie dans son livre de « grand « déboussolement » », sentiment diffus de perte de repères face à la remise en cause simultanée des trois piliers du modèle français. Que ce soit le modèle social, miné par le déclin démographique, le modèle de sécurité, ébranlé par le désengagement américain et la nécessité de repenser notre défense et enfin, le modèle économique, fondé depuis quarante ans sur la consommation et la délocalisation : « Tous ces piliers sont remis en cause en même temps. Et nos boussoles idéologiques ont disparu... ». La fin des grands récits, que ce soit sous la bannière du socialisme, du gaullisme ou du libéralisme, laisse les responsables politiques sans cadre de référence, d’où la nécessité, selon lui, de reconstruire une éthique politique fondée sur la vertu et la vérité. Rappelant à cet égard, que depuis Aristote, la politique est indissociable de la vertu, non pas par morale mais pratique : « la capacité à dire la vérité, même lorsqu’elle dérange ». Pour lui, la première qualité d’un responsable public est la parrhésie ou le courage du parler vrai, « on ne peut pas réformer si l’on n’est pas d’accord sur les faits. La politique meurt de ne pas donner à la vérité sa juste place dans le débat public ».

Dans un monde saturé d’urgences, de réseaux et de relativisme, « Gouverner l’avenir » sonne comme un appel au sursaut. Redonner du temps, du sens et du courage à l’action publique, tel est le pari de ce haut fonctionnaire qui croit encore à la politique comme art de la durée. Reprenant sans le vouloir sans doute et sous une autre forme, ces mots restés dans l’histoire, d’un locataire de l’Elysée, à l’aube des années 80 : « il faut donner du temps au temps… ».

 

 

Propos entendus….

Céline BAHR : « Vous êtes à peu près à Edouard PHILIPPE, ce qu'Edouard PHILIPPE était à Alain JUPPE… »

Clément TONON : « En démocratie, on ne réussit rien de bien qu’en prenant notre temps, dans le débat, le temps de la discussion, le temps du compromis. Et dans notre monde où tout s’accélère, que ce soit par l’urgence des réseaux sociaux ou celle de la communication publique, tous les espaces où l’on préserve de la lenteur sont des trésors démocratiques… ».

« Les partis politiques et c’est à peu près leur unique rôle, c’est de réunir des gens, leur parler des idées, former des candidats et gagner des élections… ».

« On voit à l’usage, qu’une cohabitation est finalement moins préjudiciable que l’espèce de « bazar », pour rester poli, dans lequel nous vivons aujourd’hui… ».

« Parler d'écologie punitive, « emmerder » les Français pour reprendre les mots d'un président de la République, ça ne marchera plus, on sent qu'on arrive au bout du bout de ce modèle. En revanche, trouver un type d'objet parlant en même temps de souveraineté et d'écologie, ça marche... ».

« Tous nos choix économiques se sont faits pour que les consommateurs aient les prix les plus bas possibles. Ce qui signifiait parfois, d’envoyer nos usines à l’autre bout du monde, sacrifiant par là nos emplois et nos territoires. Et aujourd’hui, on le paie du point de vue de la cohésion nationale, on le paie du point de vue de la richesse nationale et on le paie du point de vue climatique parce que faire venir un tee-shirt de Pékin, sincèrement, la logique m’échappe… ».

 

Dominique BERNERD