Pierre GAGNAIRE livre sa recette de l’entrepreneuriat aux Universités du Notariat 89 : juste l’amour du travail bien fait
Une conférence autour des vertus de l’entrepreneuriat et du leadership, face aux représentants du corps notarial de l’Yonne mitonnée aux petits oignons : voilà ce qu’a proposé durant près de deux heures le chef triplement étoilé Pierre GAGNAIRE, jeudi après-midi à AUXERREXPO. Invité d’honneur de l’édition 2024 des fameuses « Universités » concoctées tous les deux ans par la Chambre départementale des Notaires de l’Yonne, l’ancien élève de Paul BOCUSE a livré sa vision du dépassement de soi et du travail en équipe. En parfait humaniste qu’il est…
AUXERRE : Dans le rôle du modérateur, sur la scène éclairée fortement par les projecteurs, et devant un auditoire de plus de 350 personnes attentives, un inhabituel intervieweur : Julien MILLARD. Soit l’actuel président de la Chambre départementale des Notaires de l’Yonne, poste occupé pour une durée de vingt-quatre mois depuis avril dernier, qui devait troquer le temps d’un après-midi sa casquette d’officier public et ministériel pour celle d’animateur-journaliste ! Inhabituel, avons-nous dit. Mais, in fine, le jeune président de la vénérable institution se sera montrer fin analyste et pertinent dans son questionnement face à l’interlocuteur vedette de la journée, l’une des références internationales de la gastronomie hexagonale, j’ai nommé Pierre GAGNAIRE !
En face de lui, celui qui gère la destinée de l’hôtel Balzac, dans le VIIIème arrondissement de Paris, l’un des temples de la gastronomie à la française depuis 1996. Pierre GAGNAIRE. Une figure des arts culinaires, digne héritier de Paul BOCUSE dont il fut jadis l’élève. L’ambassadeur de la cuisine tricolore aux quatre coins de la planète, et surtout en Asie où il possède des établissements tant à Tokyo qu’à Séoul, voire à Hong-Kong ou à Shanghai. Chef aux treize distinctions au Michelin, si créatif et atypique dans la conception de ses mets…
Un jeu de questions/réponses où le chef se raconte…
Membre de l’Académie culinaire de France, ne dédaignant pas de participer à la célèbre émission audiovisuelle « Top Chef » - la transmission et le partage ont toujours été des leitmotivs innés pour ce natif de la Loire -, Pierre GAGNAIRE est venu dans l’Yonne en qualité de chef d’entreprise, afin d’évoquer le leadership, le collectif et le dépassement de soi. Des items bien connus des entrepreneurs. Des thématiques que les représentants de la filière des métiers des chiffres et du droit présents en nombre dans la salle se devaient d’entendre…
Ayant revêtu sa tenue immaculée de chef, se servant régulièrement à la bouteille d’eau minérale effervescente présente sur le petit guéridon placé devant lui afin de d’éclaircir le timbre de sa voix, l’invité du jour se raconte, micro à la main, pesant chacun des mots, au gré d’anecdotes et de pensées. Un parcours professionnel incroyable qui court sur plusieurs décennies.
« Je me suis donné les moyens d’avoir autour de moi et dans mes équipes, des personnes qui sont comme moi, solides, costaudes, relationnelles, éthiques et humaines. Plus que jamais, aujourd’hui, on peut emmener les gens assez loin mais à condition de leur consacrer du temps et de l’attention, explique-t-il face des spectateurs qui n’en perdent pas une miette, c’est capital ! Je ne comprends pas comment certaines personnes qui arrivent dans la vie sont habitées par la méchanceté et l’agressivité… ».
Puis de rajouter en faisant sourire le public, « par contre, je sais ce que je veux et je sais ce que je ne veux pas ! ».
Question de notre « apprenti » journaliste Me Julien MILLLARD : « comment arrivez-vous à déléguer quand on est à la tête de tant d’entreprises ? ».
Réponse de l’orateur : « C’est un système plutôt horizontal que j’ai instauré ; je travaille directement avec les personnes qui sont en charge de certaines responsabilités…il n’y a pas de techniques particulières de management ».
Une vision artistique de la profession
Quelques minutes auparavant, l’homme a pris soin de nous accorder une interview. Tout en dégustant des canapés faisant office de repas, pris sur le pouce avant d’entrer en scène. Un personnage sympathique, disponible et attachant.
« Ce qui fait ma force et ma singularité, c’est ma cuisine. Je suis devenu entrepreneur par obligation. Au départ, je n’aimais pas ce métier car c’est ma famille qui me l’a imposé. Mais, j’ai voulu en faire un objet artistique. Y compris à Saint-Etienne où j’ai effectué mes débuts et qui me l’a fait payer cher, on m’aimait bien mais ce n’était pas le lieu idéal pour défendre la cuisine que je proposais… ».
S’interrogeant sur sa vision personnelle de l’entrepreneuriat, il n’hésite pas à évoquer la prise de sages décisions dans sa vie – « une entreprise, c’est aussi du commerce » -, tout en favorisant le rapport humain. Les multiples aventures professionnelles de Pierre GAGNAIRE l’ont conduit à gérer aujourd’hui plus d’une centaine de collaborateurs. Tant à Paris que dans d’autres villes de l’Hexagone ou d’ailleurs.
« Je suis un peu comme un metteur en scène qui crée des choses artistiques dans des lieux différents – il cite Tokyo, Séoul, Shanghai mais aussi La Rochelle ou Nîmes -, j’ai acquis un certain savoir-faire car je n’ai pas de recette particulière pour gérer cela. Je sais que je suis honnête, sincère, j’ai de la passion, de l’empathie et du respect pour les gens. Voilà peut-être ma recette en fait… ».
Entre deux bouchées de petits canapés à base de crevettes, Pierre GAGNAIRE, isolé dans une pièce attenante à la salle de conférence où il interviendra un peu plus tard, parle.
« J’ai en moi l’amour du travail, vraiment. Ce n’est pas du vent, pas du nuageux ! De temps à autre, cela m’arrive d’être invité par des filières professionnelles pour raconter mon parcours et ma carrière. Comme c’est le cas aujourd’hui à Auxerre dans le cadre de ces Universités de la Chambre départementale des Notaires de l’Yonne. Le maître mot de mon intervention demeure toujours le même : c’est le respect de l’autre ! C’est mon delta. En aucun cas, ce que j’ai construit et ce que je continue à défendre ne se fait aux dépens de l’humain… ».
Un humanisme qui est à la base de toute sa carrière. « Dans mon métier, il faut savoir remplir correctement une assiette tout en créant des choses qui soient singulières et le réaliser avec des gens qui m’accompagnent depuis parfois très longtemps. C’est eux qui tiennent les rênes de tout le système ! Nous devons tirer tous dans le même sens… ».
Se réinventer et se construire sans cesse au fil du temps
Pessimiste, Pierre GAGNAIRE, sur la réalité du monde du travail ? « Oui, la situation est grave aujourd’hui, lâche-t-il sans concession, le monde se referme sur lui-même. Et c’est d’ailleurs au cœur de l’actualité de cette semaine. Je rentre de Shanghai où j’ai une affaire depuis huit ans. En l’espace de six mois, la clientèle fréquentant mes établissements ne circule plus aujourd’hui qu’avec des modèles automobiles chinois. Conséquence : les usines ferment en Europe comme c’est le cas ces jours-ci en France avec Michelin, équipementier de la filière automobile… ».
Un protectionnisme forcené qui inquiète l’entrepreneur. « Ce que j’ai fait aura tôt ou tard une fin, affirme-t-il avec lucidité, tout mon travail est basé sur ma personne. Ce n’est pas un empire que j’ai monté ! C’est une petite construction d’un type qui a un peu de talent, qui a su fédérer des hommes et qui a su intéresser des systèmes qui ont eu intérêt à s’accrocher à mes compétences. Mais, le commerce est totalement perturbé par ce renfermement des états sur eux-mêmes. Le commerce, c’est la relation entre les peuples : je te vends et je t’achète des choses ! C’est la paix… ».
Un commerce prétexte dorénavant à la notion de « guerre » commerciale, chose qu’il constate avec amertume.
« En Europe, on demande beaucoup d’efforts (et à juste raison) aux entrepreneurs, poursuit-il, mais sur les autres continents, ne serait-ce que la protection de l’environnement et de l’écologie, ce n’est pas leur problème. Pour bon nombre de pays, ils n’en ont rien à faire… ».
Nonobstant, Pierre GAGNAIRE se veut encore optimiste. Il s’explique : « En France, on a toujours des règles sociales qui protègent les personnes. En cas de licenciement, on accompagne les gens ; ce n’est pas comme en Espagne… ».
Un Pierre GAGNAIRE qui tire des enseignements sur sa façon de faire au fil des ans – « j’ai toujours su me reconstruire et me réinventer » -, qui aura délivré quelques messages importants aux professionnels du droit et des chiffres.
« Je voudrais dire merci à ces personnes. Un notaire, c’est un juge de paix dans les familles, les entreprises. Pour gérer une transmission, une succession. Avec de la sagesse. Un notaire, ce n’est pas un avocat qui se doit de défendre son client parfois en racontant n’importe quoi ! Un notaire, il a la loi pour lui et il l’interprète avec bienveillance, intelligence et finesse pour dénouer l’écheveau de la vie courante… ».
Quant aux projets de Pierre GAGNAIRE en 2025, on n’en saura pas davantage ! Il restera disert sans en évoquer la moindre miette ! Se contenant juste de formuler la réponse suivante, avec un zeste d’humour, « mon projet quotidien est que l’assiette de demain soit bonne ! ». En quoi vu l’exceptionnel parcours de notre interviewé, on peut lui faire confiance, les yeux fermés !
Thierry BRET